l'Aigle Noir de Barbara

 

« Un beau jour, ou peut-être une nuit,

           

Le paysage est à la fois diurne et nocturne. Le jour et la nuit sont les deux moments qui rythment la journée. Pour l’individu, c’est l’alternance entre la veille et le sommeil. Ne plus savoir si c’est le jour ou la nuit, cela revient à ne plus savoir si l’on dort ou si l’on est éveillé. Certaines phases de sommeil dites « paradoxales » ressemblent à des périodes de veille. Pendant ces phases, les électroencéphalogrammes montrent une activité du cerveau similaire à celle d’un l’état de veille. La production onirique, qui échappe encore dans son pourquoi et son comment, à toutes explications scientifiques, se produit pendant les phases dites paradoxales.

 

            « Près d’un lac, je m’étais endormie,

           

Le lac est une vaste étendue d’eau qui miroite. Le ciel et les rives se réfléchissent à sa surface comme dans un miroir. Le miroir nous renvoie une image de nous-même. Il nous porte à l’observation et à l’introspection. Le lac représente l’inconscient dans les rêves, notre inconscient ; c’est nous, mais pourtant sa profondeur et tout ce qu’il contient nous demeurent cachés. Le lac représente un domaine psychique qui se dérobe à notre conscience. Dans les rêves, par le biais des symboles, une partie de l’inconscient se dévoile, des éléments remontent des profondeurs. Le lac-miroir de la chanson va renvoyer à la dormeuse sa propre image. Il va lui montrer qui elle est vraiment, dans sa totalité. Pendant le sommeil, le lâcher-prise du corps est total. L’intellect ne contrôle plus rien. Le moment est propice à quelques manifestations de l’inconscient. Justement, la dormeuse est au bord de cet inconscient démesuré, alors elle s’expose à des signes d’attraction, exactement comme un satellite près d’une planète.

 

            « Quand soudain,

           

La femme s’endort mais quelque chose survient aussitôt. L’endormissement est soit très court, ou plus vraisemblablement, « ce qui survient » se passe dans son rêve.

Quelques années avant l’écriture de la chanson, Barbara avait fait un rêve qu’elle avait noté. Ce n’est que plus tard, en 1970, qu’elle a mis son rêve en chanson :

 

            « J’ai fait un rêve, bien plus beau que la chanson. Un oiseau tournait autour d’un canyon, descendant, descendant. J’ai vraiment rêvé de ça, en couleurs ! Après ce rêve, des choses extrêmement bénéfiques sont arrivées » (…) dit-elle.

 

            « Semblant crever le ciel,

 

La dormeuse aperçoit l’aigle. Il n’est pas dit qu’il descend du ciel, le terme est bien plus fort. Il l’éclate, il l’endommage, il l’explose, il passe au travers, il le crève ! La résidence des dieux (selon la tradition) est réduite à une tenture, un simple rideau de théâtre, troué désormais par le passage de l’aigle.

           

            « Venant de nulle part,

 

L’aigle vient de nulle part : il est clair qu’il ne s’agit pas d’un aigle « ordinaire ». La femme comprend qu’il est différent. Il ne vient pas du monde terrestre. Quant à venir du Ciel, cela même lui semble peu probable. Dans l’iconographie religieuse, les anges et autres bienheureux qui séjournent dans ce lieu céleste sont généralement représentés avec des couleurs claires et des auras de lumière. L’aigle, lui, est noir. « Nulle part ! » C’est la réponse que donne l’enfant qui se sent pris en faute pour taire la vérité sans dire de mensonge. « Où t’étais passé ? Nulle part ! ».

 

            « Surgit un aigle noir,

 

Les différentes significations de l’aigle sont toujours positives : il est le roi des oiseaux. Le symbole de la puissance. Ceux qui élèvent des rapaces le savent : l’aigle est l’oiseau qui vole le plus haut dans le ciel et il ne rate jamais sa cible. De réputation, on dit qu’il est capable de regarder le soleil en face sans ciller. On l’identifie naturellement à un être courageux capable de regarder la Vérité en face.

L’aigle est également lié aux pratiques chamaniques. C’est lui qui guide le vol du chaman à travers l’espace lorsque celui-ci part à la recherche de l’âme d’un malade. L’aigle devient alors un guide. Dans la chanson, l’oiseau passe d’un « monde » à l’autre, du sien à celui de la dormeuse. Il évolue aussi facilement dans le monde sensible que dans le monde matériel.

           

Le noir est la première des trois couleurs alchimiques. Il représente la mise à mort de la matière première. Cette matière, quelle qu’elle soit, doit mourir pour renaître sous une autre forme. Puisque la lumière contient toutes les couleurs du prisme et que le noir en est l’opposé, c’est donc que le noir n’en contient aucune. Il est l’obscurité, il est l’intérieur d’une matrice, l’intérieur de la terre. Les graines n’ont pas besoin de la lumière pour germer. C’est bien dans l’obscurité, dans la terre, que se produit la germination.

 

Malgré ces aspects positifs, le fait que l’oiseau soit noir vient contrebalancer les qualités de l’aigle. Le noir lui donne un air mystérieux presque inquiétant : tout comme Barbara, qui se montrait toujours vêtue de noir et les yeux noircis de khôl.

 

            « Lentement, les ailes déployées,

            Lentement, je le vis tournoyer,

 

Insistance sur l’adverbe lentement placé en début de ligne. L’oiseau tournoie, descend peu à peu. Cela semble lent parce qu’il est loin. Le temps exprime une distance. Pourtant dans le vers suivant, l’oiseau se retrouve auprès d’elle.

 

            « Près de moi, dans un bruissement d’ailes,

            Comme tombé du ciel,

            L’oiseau vint se poser,

 

Comme "tombé du ciel" ce qui indique la rapidité (après la lenteur) avec laquelle il a chuté. L’oiseau se joue bel et bien du temps et des distances.

Lucifer est tombé du ciel lui aussi ; ses ailes n’ont pas ralenti sa chute. Selon la légende chrétienne, il a été déchu parce qu’il a osé défier Dieu. Au Moyen-âge, Lucifer-le diable n’a pas encore perdu ses attributs d’oiseau : il est bizarrement représenté sous les traits d’un démon étrusque : avec un bec, des serres et des ailes.

 

            « Il avait les yeux couleur rubis

            Et des plumes couleur de la nuit,

 

Des yeux en pierre précieuse rouge : la couleur du sang et de la vie. La femme du rêve semble subjuguée et n’a pas de réaction. Ce qui est normal puisque son corps physique est endormi. Mais quelque chose en elle regarde. Quelque chose en elle entend ce bruissement. Ses sens sont mis en éveil.

 

            « A son front, brillant de mille feux,

            L’oiseau roi couronné, portait un diamant bleu,

 

S’il restait des doutes sur l’identité de l’être noir aux yeux rouges, il n’y en a plus avec ce vers. Messager ailé, tantôt appelé ange, ou Mercure, ou Prométhée par les Romantiques, quel que soit son nom, « l’ange » apporte toujours avec lui une Révélation, loin des foules, parlant en privé au destinataire du message. Malgré sa noirceur, il ne s’agit pas d’un diable catholique. Il ressemblerait bien plutôt à un Lucifer primitif dont le nom latin veut dire « porteur de lumière ».

           

Dans la légende, lorsque le Lucifer chrétien est banni du Ciel, il porte une pierre verte au front, une émeraude. Le vert était la couleur de l’initiation. Aujourd’hui, la couleur du néophyte est plutôt le bleu. Selon l’expression moderne, un « bleu » c’est quelqu’un qui s’apprête à commencer un apprentissage. Avec le temps, la couleur bleue a remplacé la couleur verte dans le sens de « couleur de l’initié ». L’oiseau porteur d’un diamant bleu est chargé d’initier la dormeuse.

 

            «  De son bec, il a touché ma joue,

 

La joue est près de l’oreille. Pour chuchoter des mots secrets à quelqu’un il faut s’approcher de sa joue.

L’oiseau s’apprête à lui transmettre un message. En quel langage peut-il le faire sinon dans la « langue des oiseaux ». La langue des oiseaux est un langage secret utilisé par les hermétismes et les cabalistes. Il vient probablement de l’Egypte ancienne. Anubis, le dieu à tête de chacal n’est pas le seul à jouer un rôle important dans les cérémonies mortuaires des dynasties pharaoniques. Deux autres dieux sont tout aussi présents. Il s’agit de Thot et d’Horus. Thot, le dieu à tête d’ibis, occupe une place de scribe au tribunal pour juger l’âme des morts. Il « préside » pourrait-on dire. Il est celui qui inscrit (ou pas) le mort dans le livre d’éternité. Horus, le dieu à tête de faucon, contrôle la balance dans laquelle est placé le cœur du défunt et conduit ensuite l’âme du mort devant Osiris. Les dieux égyptiens à tête d’oiseaux échangeaient certainement des "paroles". Les paroles sont certes perdues mais on peut imaginer leurs contenus… il devait être question de la mort et des conditions de la survie dans l’au-delà.

Thot est aussi le dieu de la sagesse et des pouvoirs magiques. On le considère comme l’inventeur de l’écriture et (information intéressante lorsqu’il s’agit du rêve d’un auteur-compositeur-interprète), dans la théologie de Memphis, Thot est aussi le maître de la magie sonore, autrement dit de la musique. De ce fait, un des créateurs du monde par la puissance de sa voix.

L’oiseau est noir et sa voix est un don, tout comme Barbara qui captivait le public avec sa voix.

 

            « Il faut refaire une salle chaque soir (une salle de concert). Il faut lui redonner une âme », Barbara, interview télévisée, 1968, archives INA.

 

L’oiseau a des points communs avec Barbara. Ils ne sont pas totalement étrangers l’un à l’autre. Elle avait déjà parlé de lui dans une chanson précédente. Dans Au cœur de la nuit (1967), Barbara parle d'une présence mystérieuse : « un bruissement d’ailes, un murmure qui la guide au cœur de la nuit et une allée obscure d’où surgit un être. Dans cette autre chanson, écrite trois ans plus tôt, elle pose directement les questions : « Qui es-tu pour me revenir ?/Quel est donc le mal qui t’enchaîne ?/Et veux-tu que, vers toi, je vienne ? ».

           

            « Dans ma main, il a glissé son cou,

 

L’oiseau s’approche davantage. Au point de mettre son cou, sa partie la plus vulnérable, dans la main de la femme. Le cou est l’organe qui sépare la tête (siège de la pensée), du corps (qui remplit des fonctions physiologiques). En agissant ainsi, l’oiseau indique la nécessité de séparer les fonctions matérielles des fonctions spirituelles.

De plus, l’aigle lui remet littéralement sa vie entre les mains en posant son cou dans sa main. Or les points communs qu’elle partage avec l’aigle laisse penser qu’il est une partie d’elle-même, peut-être lorsqu’elle chante sur scène. Dans ce cas, le corps endormi est semblable au public pendant les concerts : il est passif (docile) jusqu’à un certain point mais il a aussi le pouvoir, chaque soir,  d’encenser l’artiste ou au contraire de le briser.

 

            « Tout à coup, si tu dis devant ces êtres (le public), où on est soudé : levez-vous. Tu sais qu’ils vont le faire. Et c’est grave, c’est beau et c’est dangereux. C’est merveilleux. C’est une superbe déchirure ». Barbara, interview télévisée, 1968

            « Le public me fait vivre et il me détruit. Il me fait naître et il me tue », Barbara, par David Lelait-Helo, Petite bibliothèque Payot, 2007.

 

            « C’est alors que je l’ai reconnu,

            Surgissant du passé, il m’était revenu,

 

L’identité de l’aigle noir va se préciser davantage.

Il semble surgir du passé et revenir vers elle après une absence. C’est de re-connaissance qu’il s’agit. Reconnaître c’est connaître de nouveau, c’est re-naître. L’aigle apporte une énergie, il ravive quelque chose chez la dormeuse. Tandis que le corps est une masse endormie, la femme laisse advenir. Et quelque chose advient : « elle reconnaît ». Ni action au sens propre du terme, ni intellect, ce n’est que pure intuition. C’est l’âme qui s’éveille en présence de l’aigle et qui se souvient d’une relation ancienne, spirituelle, quasi divine, avec l’esprit. L’aigle n’est pas étranger à la psyché, il y revient. Il est l’esprit qui revient vers l’âme comme un animal sauvage et magnifique revient vers celui qui l’a nourri.

 

« La salle (de concert) représente tout, c’est l’accoucheur. Des cœurs autour desquels on s’enroule, on pénètre. Ça ne peut pas s’expliquer, le miracle de la scène », Barbara, interview télévisée 1966.

 

La dormeuse se souvient d’une époque où l’âme et l’esprit étaient unis. Mais quand ont-ils pu être rassemblés auparavant ?

 

            « Dis l’oiseau, ô dis,

 

Le "ô" de l’invocation. Elle invoque l’oiseau. Elle le prie. Elle lui reconnaît un pouvoir hors du commun. Elle lui demande de dire encore mais l’aigle n’en dira pas plus. Il doit repartir. Leur rencontre n’est pas faite pour durer.

 

            « Je n’ai rien à dire sauf ce que je dis sur scène », 1966, archives INA.

« Emmène-moi,

            Retournons au pays d’autrefois,

 

Elle se souvient du "pays". L’aigle en vient. Le mot pays rappelle qu’il y a une frontière à passer pour pouvoir y retourner. Le verbe retourner, utilisé à la première personne du pluriel, les unis tous les deux en une seule et même « personne ». Ils étaient deux, ils sont deux de nouveau, pendant un temps compté. Il y a le corps allongé pareil à un public captif ; l’inconscient-lac; l’oiseaux-esprit et l’âme qui se souvient.

 

            « Les enfants sont des voyants (…) Une enfant de 5 ans m’a dit un jour : quand tu chantes, tu vois tout ».

           

Autrefois=c’était il y a longtemps. Est-ce qu’on emploie ce terme pour parler de son propre passé ? Cela évoque plutôt un passé commun très lointain. Un passé que l’on n’a pas forcément connu soi-même et qui concerne le genre humain.

 

            « Comme avant,

            Dans mes rêves d’enfant,

 

Nostalgie d’un état d’innocence ; souhait de régénérescence. La petite enfance est une période où l’être reste connecté, de par sa fantaisie, son imaginaire et son ouverture au monde, à un état d’esprit spécifique, que l’on récuse parfois à l’âge adulte. Une période où l’on aime entendre des histoires qui parlent d’autrefois (il y avait une fois, dans un pays lointain…), même si l’on sait que ce pays n’existe pas.

           

            « Pour cueillir en tremblant,

            Des étoiles, des étoiles,

 

La symbolique de l’étoile est très ancienne. L’étoile guide les marins en mer. Elle indique aux voyageurs qu’ils sont sur le bon chemin (étoile des rois Mages). Elle prédit l’avenir (astrologie). Ajoutons que la nuit, les étoiles laissent voir l’étendue du cosmos, les rouages d’un grand-tout, dont la Terre fait partie.

En alchimie, voir une étoile indique à l’initié qu’il est sur la bonne voie, qu’il n’a pas trouvé l’or des fous mais l’or des sages.

Les trois vers suivants reprennent « comme avant » : la répétition est là pour montrer le crescendo ou plutôt le decrescendo. Le temps remonte, de plus en plus loin. Tout d’abord, premier palier, l’enfance. Mais ensuite ? Qu’il y a-t-il avant la naissance ?

 

            « Comme avant, sur un nuage blanc,

 

Maintenant, le blanc : les trois couleurs alchimiques sont réunies.

 

            « Comme avant, allumer le soleil,

 

Comme avant est utilisé plusieurs fois. (à rapprocher du Paradis Blanc de Michel Berger). Avec le premier « avant », la femme remonte à son enfance. Deux fois, comme pour prendre son élan. Avec le deuxième, elle se tient "sur" un nuage (dématérialisation). Avec le troisième, elle atteint le soleil, c’est-à-dire la Vérité. Il s’agit d’une régression comme l’on peut en vivre sous hypnose. Sauf que l’hypnose ne peut pas remonter jusqu’à une époque antérieure à la naissance. Le poème est visionnaire et il nous dit : c’était avant, encore avant, encore avant.

 

            « Etre faiseur de pluie,

 

Être faiseur de pluie, c’est être faiseur d’eau. Dans le domaine de la chimie, c’est un assemblage d’atomes d’oxygène et d’atomes d’hydrogène. La vie est apparue et s’est développée sur notre planète grâce à la présence de l’eau. Et elle reste vitale pour tous les organismes vivants. Être faiseur d’eau, équivaut à avoir une baguette magique, à mélanger les atomes, tel un petit chimiste, et faire apparaître la vie. Dans un sens plus fort, cela revient à être l’égal du « Créateur ».

 

            « Mon métier pour moi, c’est une religion. J’ai pris le voile (…) Il y a eu des miracles. C’est inexplicable ce miracle, ce mystère. Là, il y a un mystère. Ce pouvoir ». Barbara, interview télévisée, 1968.

 

            « Et faire des merveilles,

 

Merveilles vient du latin mirari qui veut dire s’étonner de /admirer. Il a donné mirabilis d’où découle le mot merveilles. En ancien-français, le sens de « merveilles » est monstruosité ou miracle

 

            «Quatre plumes, couleur de la nuit,

            Une larme, ou peut-être un rubis,

 

L’aigle regagne le ciel en abandonnant quatre plumes. Selon les croyances chamaniques, les plumes d’aigle ont un peu le pouvoir de l’aigle. L’oiseau fait ainsi un "don" de lui-même avant de repartir. En donnant des plumes, il donne à la femme le symbole et le don de l’écriture.

C’est aussi une plume qui est posée dans la balance par l’ancien dieu égyptien pour peser l’âme du défunt. Quatre plumes, serait-ce à interpréter comme un « supplément d’âme » accordé à la femme ?

Le « quatre » rappelle aussi la quaternité de la psyché humaine admise dans certaines traditions : anima/animus/inconscient/esprit.

Pour les alchimistes, la quadrature du cercle est un symbole du Grand-œuvre : elle montre que l’unité originelle est décomposée en quatre éléments avant d’être recomposée en une unité supérieure. "Notre pierre (matière première=l’âme dans l’alchimie) est faite des quatre éléments" écrivent-ils.

           

Est-ce une larme ou un rubis ? se demande ensuite la femme. L’aigle pleure, quelque chose de précieux sort de lui. La femme ne semble pas faire plus de cas d’une pierre précieuse que d’une larme versée. Elle souligne leur équivalence en les plaçant d’un bout à l’autre d’un même vers comme sur une balance.

Richesse d’un côté, Amour de l’autre, deux jambes pour continuer d’avancer. Épuisant de tout donner sur scène, parce qu’on a tout reçu. Comme l’aigle, elle y laissera des plumes. Barbara se consume à ce métier et elle le sait.

 

            « Je ne crois pas que je vivrais longtemps. Je pense que ce ne sera pas long. La vie s’arrête plus ou moins tôt. Ce n’est pas triste du tout », Barbara, interview, 1964.

 

            «J’avais froid, il ne me restait rien,

            L’oiseau m’avait laissée,

            Seule avec mon chagrin,

 

Le départ de l’aigle la jette dans le froid, le dépouillement, le chagrin. Au moment de la naissance, l’enfant doit ressentir des impressions analogues. Dans le ventre de la mère, il ne se préoccupe pas de la température qu’il fait à l’extérieur et soudain, c’est le froid, la séparation. L’enfant abandonne le liquide chaud du ventre et il naît dans l’air froid. La femme du rêve souffre car le moment de la béatitude est terminé. L’aigle s’en va et avec lui s’en va la chaleur. C’est le feu de l’exaltation religieuse qui s’en va, le feu de l’Esprit Ardent des religions du Livre. C’est encore le feu secret que les chamans conservent en eux, dans leur corps et qui leur confère leurs pouvoirs.

           

La femme du rêve a réalisé son Grand-œuvre : elle s’est séparée d’elle-même puis elle s’est retrouvée dans un moment de grâce. Les yogis recherchent la même unification de leur être dans la méditation. Les égyptiens de l’antiquité appelaient cela l’akh-ba-ka. Eux distinguaient trois entités immatérielles chez l’individu :

  • L’akh est l’esprit (l’aigle).
  • Le ba est le double de l’individu ou l’âme (la femme).
  • Le ka est l’inconscient (le lac).
     
    La femme doit songer à redevenir la femme de tous les jours. L’unification de son être, la femme-totale, elle la retrouvera chaque fois que l’aigle-esprit sera présent. Et la condition pour qu’il soit là, c’est qu’il y ait une masse d’amour (dans le cas présent le public représenté dans le rêve par le corps physique). Ce dernier élément s’unit aux trois autres en tant que quatrième et produit la synthèse des quatre en une unité.
     

En 1970, après le concert de Barbara, Denise Glaser lui dit : « À l’Olympia, quand tu étais sur scène, j’ai vu quelque chose de changé en toi. Tu étais comme portée par moment, avec une voix changée (…) ».

 

           

(Reprise du début)

            « Un beau jour, une nuit,

            Près d’un lac, endormie,

            Quand soudain,

            Il surgit l’aigle noir,

 

La musique du début revient, quelques notes isolées et tristes. Répétition. Se souvenir de l’instant de grâce. L’idée l’envahit et à la façon d’un mantra et l’occupe toute entière. Les jours, les nuits se succèdent. Le temps passe, reste le souvenir.

 

            « En scène, je suis une autre. On pourrait m’enfoncer un couteau dans le dos, peut-être ne le sentirais-je même pas. Et en face de moi, il y a ce monstre d’Amour ».

 

Barbara est décédée en novembre 1997 d’une pneumonie foudroyante. Elle avait 67 ans.

 

 

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