Le Paradis Blanc de Michel Berger.

Interprétation selon l’alchimie opérative.

 

« Il y a tant de vagues et de fumée » : les vagues font penser naturellement à la mer. L’artiste plante le décor dès le premier vers. Deux lieux symboliques sont évoqués dans les écrits alchimistes : la forêt ou la mer. En l’occurrence, il s’agit ici de la mer hermétique. L’initié va y naviguer. Il y mènera sa quête. L’environnement sera riche de profondeurs insoupçonnées.

« tant de fumée » : une des étape-clef de l’alchimie consiste à tuer la matière première. Pendant cette étape, la matière première est chauffée et il s’en échappe deux fumées, censées représenter l’âme et l’esprit. Ces deux fumées sont visibles et elles se distinguent clairement car elles sont de deux couleurs différentes.

Ce qui amène le vers suivant : « On n’arrive plus à distinguer/le blanc du noir » : sans la négation que l’on n’entend pas à l’oral (du reste une chanson est faite pour être entendue et non pas lue), le « plus » devient « davantage ». Ce qui revient à dire, « on arrive mieux à distinguer le blanc du noir ». Les deux couleurs s’échappent de la matière première et sont nettement visibles.

« le téléphone pourra sonner/il n’y aura plus d’abonnés » : le corps de la matière première est vidé de ses substances. Les parties sont séparées. La matière première mise à mort est représentée dans les gravures anciennes par un individu démembré, comme « absent » ou « mort ».

« que le silence pour respirer » : certains alchimistes ont cherché à isoler l’azote de l'atmosphère, peut-être dans le but de retrouver l'atmosphère primitive de la Terre, qui était sans oxygène. Azote est un mot composé du préfixe "a" qui veut dire "opposé à" et d'une racine grecque signifiant "vivant". Azote est donc littéralement un gaz « qui ne permet pas la survie des êtres vivants ».

« recommencer là où le monde a commencé » : cette phrase est répétée deux fois. Dans bon nombre de traités, il s’agit de refaire, en laboratoire et de façon accélérée, ce que fait la nature.

« les nuits sont si longues qu’on en oublie le temps » : le temps ne semble plus compter, tout à sa préoccupation du Grand-œuvre, l’alchimiste se retire de la contingence du temps. Un des objectifs, selon les traités anciens, est de trouver l'élixir de longue vie, qui donne l'immortalité et ainsi pouvoir "oublier" vraiment le temps.

« tout seul avec le vent » : pour les Babyloniens (une des premières civilisations du monde) quatre vents entouraient la Terre son à l’origine. Selon leur légende, le vent en soufflant a insufflé la vie.

Le vent est aussi le soufflet qui permet d’entretenir le feu qui est un symbole de la connaissance. Un feu attisé peut devenir gigantesque lorsqu’il s’accompagne de vent.

Après la mort symbolique de la matière première (l’œuvre au noir), l’initié doit la faire revivre (ce qui représente l’œuvre au blanc). Le vent est présent pour lui rendre vie.

« comme dans mes rêves d’enfant » : aux yeux des profanes, les initiés poursuivent des rêves d’enfant. Une indication intéressante nous est fournie par un auteur du Moyen-âge qui nous dit à propos de la matière première, qu’il s’agit d’une chose de vulgaire, que les adultes méprisent mais dont les enfants au contraire se saisissent facilement pour jouer avec.

« je m’en irai courir dans le paradis blanc » : après y avoir dormi, il se relève donc. Et il court. Il est vivant de nouveau, grâce au souffle de vie évoqué dans le vers précédent.

« retrouver les baleines/parler aux poissons d’argent » : la matière première a été mise à mort, calcinée, constituée de plusieurs morceaux. Ils se retrouvent maintenant dans la mer hermétique. Les poissons d’argent, un métal noble et blanc, signe de pureté. La reprise par trois fois de « comme » souligne que les parties sont séparées, dissociés, mais pareils à ce qu’elles étaient auparavant. Ils ne sont pas transformés mais totalement purs.

« y’a tant de vagues et tant d’idées » : les idées reviennent. Encore les vagues, encore la mer, encore de l'eau. Pour certains alchimistes, toute vie vient de l'eau et doit mourir symboliquement par l'eau. Pourtant, l’initié devenu adepte, ne voit plus les choses de la même façon : il a désormais beaucoup d'idées, sa vision du monde s'est élargie.

« qui aimer ou condamner » : les lois morales, les codes des sociétés, les jugements de valeur, tout cela lui semble inutile et désuet par rapport à la vérité qu’il vient d’entrevoir.

« le jour où j’aurai tout donné/que mes claviers seront usés » : clavier vient du latin clavis qui veut dire clef. Les alchimistes parlent de clef pour désigner les secrets de procédé de grand-œuvre. Il y aurait paraît-il sept clés. Quand l’adepte aura usé, utilisé toutes ses clefs, quand il sera venu à bout de tout ce qu’il est en mesure de comprendre, il saura qu’il ne peut aller plus loin, mais qu’adviendra-t-il de lui ?

« d’avoir osé/toujours vouloir tout essayer » : en effet, il ose essayer de faire ce que la Nature fait. Il se croit son égal. Ce n’est pas sans risque. C’est un homme qui se hisse au rang de divinité.

« où les manchots s’amusent dès le soleil levant » : les manchots sont des êtres isolés du reste du monde sur leur banquise. Sur le sol, ils évoluent maladroitement. Leur véritable milieu est la mer. L’adepte, de même, se retranche de la société civile. Là où il excelle, c’est dans la mer hermétique. C'est là son élément. Le soleil levant apparaît. Rouge. Il est le symbole de l’or alchimique. L’adepte a réussi, il entrevoit de l'or alchimique.

« et jouent en nous montrant/ce que c’est être vivant » : on arrive à la phase finale. L’adepte voit. Et il comprend. Il peut fournir la réponse que l’humanité se pose depuis la nuit des temps : que faisons-nous sur terre ?

« l’air est si pur/qu’on se baigne dedans » : les éléments primordiaux se confondent. Ici l’eau et l’air. Une façon pour l’artiste de souligner qu’il baigne littéralement dans un état nouveau, différent. Ça baigne ! dit-on familièrement. Le bain est aussi le bain alchimique dans lequel on placera, pour les réunir, le soufre et le mercure en vue d’obtenir l’or alchimique.

La chanson se termine. Elle revient sur « comme dans mes rêves d’enfant/comme avant » : les paroles insistent sur ce que l’alchimiste appelle la réincrudation. C’est-à-dire revenir à un état neuf, d’origine, un état pur. Il s’agit d’une régénération de la matière. Un retour à un état antérieur à celui qui caractérise la maturité. Les auteurs hermétiques parlent de "jeu d'enfant". Ils veulent dire par là qu'après les premières expériences au laboratoire, la suite devient facile, évidente et aussi simple qu'un jeu d'enfant. "comme, comme, comme avant" : à comparer avec l'Aigle Noir de Barbara.

 

 

 

 

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